Crise Anglohone : les forces de sécurité ont tué, violé et pillé les civils selon Human Right Watch
Il urge de protéger les communautés du NOSO, et d’établir les responsabilités dans les crimes commis. De nouvelles exactions ont en effet, selon Human Right Watch, été commises dans les régions anglophones du Cameroun par les séparatistes armés, mais aussi par les forces de sécurité gouvernementales.
Les 8 et 9 juin 2021, des membres des forces de sécurité camerounaises ont tué deux civils, violé une femme âgée de 53 ans, et détruit et pillé au moins 33 bâtiments, des magasins et des logements, y compris la demeure d’un chef traditionnel dans la région du Nord-Ouest.
« Les forces de sécurité camerounaises ont certes l’obligation de riposter de manière légale aux attaques des groupes séparatistes armés et de protéger les droits des personnes pendant les périodes de violence », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mais une fois de plus, nous apprenons qu’elles ont répondu à la menace posée par les groupes séparatistes en commettant des attaques contre des civils et des violations des droits humains. »
Des victimes et témoins ont déclaré qu’aux toutes premières heures du 9 juin, environ 150 membres des forces de sécurité, de l’armée régulière et du Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), ont mené une opération dans et autour du village de Mbuluf, dans la région du Nord-Ouest. Alors que ces forces s’approchaient du village à pied, les habitants terrifiés se sont enfuis dans la brousse voisine.
Entre les 12 et 23 juin, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 10 victimes et témoins de violations des droits humains par les forces de sécurité ainsi qu’avec 18 proches de victimes, journalistes et activistes de la société civile. Human Rights Watch s’est également entretenu avec un membre de la famille de l’enseignant tué par des combattants séparatistes. Human Rights Watch a corroboré les récits de victimes et de témoins à l’aide de photographies fournies par ces personnes.
Human Rights Watch s’est entretenu avec deux résidents de Mbuluf, qui ont déclaré que les forces de sécurité ont arrêté le groupe de six personnes dont ils faisaient partie : un mari et son épouse, leurs deux enfants, un autre homme et une autre femme, à proximité du village.
L’épouse a déclaré que des soldats avaient arrêté le groupe vers 1 ou 2 heures du matin, lors de sa fuite. Les militaires leur ont demandé où se trouvaient les combattants séparatistes. « Nous avons répondu que nous n’en savions rien », a-t-elle indiqué. « Ils ont dit que mon mari avait une arme à feu. Nous avons assuré que nous n’avions pas d’arme. Ils ont dit qu’ils allaient nous tuer, puis l’un d’eux m’a violée. » L’épouse et un autre membre du groupe ont déclaré que d’autres soldats ont menacé et roué de coups les deux hommes, avant de forcer les six personnes à marcher pendant environ deux heures jusqu’au village de Ndzeen.
Lorsque les soldats sont arrivés à Ndzeen, ils ont fait irruption dans au moins 33 magasins et maisons, qu’ils ont endommagés et pillés. L’un des domiciles était la résidence du fon, une figure d’autorité traditionnelle locale. « Ils ont profané mon palais, endommageant des artéfacts, notamment l’ancien trône royal et une chaise ancestrale, et ont pénétré dans des zones sanctuarisées et secrètes du palais, auxquelles personne n’a accès », a déclaré le fon. « Ils ont saccagé et dispersé les emblèmes royaux. C’est une honte. » En septembre 2019, des soldats du BIR avaient précédemment attaqué et pillé un site du patrimoine mondial, la chefferie de Bafut, dans la région du Nord-Ouest.
Les forces de sécurité ont ensuite continué jusqu’au village de Mbah à pied, à environ deux heures de route, emmenant avec elles le groupe de six personnes. Sur place, ils ont remis en liberté tout le monde sauf le mari, âgé de 58 ans, de la survivante du viol. Son corps a été retrouvé le 11 juin dans le village de Tatum, à environ 30 kilomètres de Mbah. Il avait été abattu d’une balle dans la bouche.
Le 8 juin, vers 19 heures, dans le village de Gom, dans la région du Nord-Ouest, deux militaires en tenue civile, reconnus par un témoin comme étant des soldats de l’armée régulière de la base militaire de Gom, ont fait irruption au domicile du fon, harcelé les huit personnes présentes, dont un homme âgé de 72 ans qu’ils ont passé à tabac. Vers 19h30, ils ont interrogé puis tiré sur Nwang Lydia, une femme âgée de 60 ans, dans la jambe droite, après qu’elle n’a pu fournir d’informations sur un combattant séparatiste.
Son voisin, l’homme âgé de 72 ans qui avait été roué de coups, a déclaré que les assaillants l’avaient forcé, lui et sa femme, à transporter Lydia en direction de la base militaire de Gom pour un interrogatoire. Arrivés à un pont situé à environ deux kilomètres de sa maison, les soldats leur ont dit de la déposer sur place. Les soldats ont ensuite tué Lydia d’une balle dans la poitrine. Ses proches ont récupéré son corps sur le pont le lendemain matin.
Le 15 juillet, Human Rights Watch a transmis par courrier électronique ses conclusions au porte-parole de l’armée, le Capitaine de Vaisseau, Cyrille Serge Atonfack Guemo, en lui posant des questions spécifiques, un courrier resté sans réponse.
Le 9 juin, après leur arrivée à Ndzeen, les forces de sécurité ont dépouillé des individus et saccagé des maisons et des magasins. Human Rights Watch s’est entretenu avec cinq habitants de Ndzeen qui ont été victimes de leur vague de pillages et examiné 40 photographies fournies par les victimes, montrant des dégâts matériels pour corroborer les témoignages.
Un fermier de 58 ans et sa famille ont fui dans la brousse lorsqu’ils ont vu des soldats arriver vers 7 heures du matin, avant de revenir vers midi. « Je suis revenu quand les choses se sont calmées et que les soldats sont partis », a-t-il relaté. « J’ai découvert que ma maison avait été endommagée et mon argent volé. Deux portes avaient été détruites, 17 700 francs CFA (environ 31,86$) manquaient, et de l’eau avait été renversée sur mon lit. »
Par ailleurs, Dans une tentative manifeste de limiter les informations faisant état de violations des droits humains par les forces de sécurité et d’empêcher une surveillance internationale de la crise anglophone selon HRW, le gouvernement a refusé aux journalistes et aux organisations internationales de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, l’accès aux régions anglophones.
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